Sham’s a décrypté pour le Journal Le Quotidien, dans le cadre de l’élection présidentielle américaine, le 2ème débat télévisé opposant Barack Obama à Mitt Romney, le 16 octobre 2012 (jour des États-Unis). Le compte-rendu, recueilli par Florence Labache, a été publié dans Le Quotidien du 18 octobre 2012 sous le titre « Obama-Romney, décryptage d’une joute verbale». Pour être plus complet, il reprend ici son analyse en la développant et en englobant le 3ème et dernier débat du 22 octobre 2012. Le 1er débat s’est tenu le 3 octobre et avait réuni 67 millions de téléspectateurs.
MittRomney surpasse Obama lors du 2ème débat du 16 octobre
Trois débats, ou duels, comme se plaisent à les nommer les commentateurs, ont jalonné la campagne présidentielle américaine 2012 opposant Barack Obama, le sortant, à Mitt Romney, son challenger.
Ces rendez-vous différaient aussi bien par leurs thèmes que par leurs formes, balayant les trois grandes figures de l’art oratoire. Au premier débat, les protagonistes étaient debout derrière un pupitre, au second ils étaient debout, sans élément matériel entre eux et le public, et pouvaient se déplacer pour parler, et au troisième ils étaient assis à table. Nospropos, ici, portent essentiellement sur les deux derniers débats et surtout sur le second, plus riche en éléments oratoires et en développements analytiques. Ce mardi 16 octobre, O (pour Barack Obama) arrive devant son adversaire plombé par sa très mauvaise prestation du premier débat. Le verdict des sondages était sans appel : R (pour Mitt Romney) est apparu plus convaincant à 67 % d’Américains. Un camouflet infligé à l’un des meilleurs orateurs de la planète. L’issue d’une joute oratoire n’est jamais écrite d’avance et les bons orateurs, à force de s’entendre dire par tous, même par leurs adversaires, qu’ils sont exceptionnels et époustouflants, finissent par baisser leur garde et négliger certaines règles dont le non-respect ne pardonne pas. Et leurs contradicteurs en face, sachant qu’ils ont à affronter des monstres de la parole en public, redoublent de préparation et finissent par se surpasser et dominer l’excellent tribun. O l’a appris à ses dépens ce soir-là.
Un rappel qui a son importance : R venait de participer à 20 débats au cours des primaires de son parti et O n’avait plus connu de débat de ce format depuis octobre 2008, face à John McCain.
O aborde donc ce deuxième débat avec l’obligation absolue de reprendre le dessus, car l’impact désastreux du débat raté s’est immédiatement traduit en termes d’intentions de vote. Il est désormais devancé par R alors que plusieurs points les séparaient encore il y a quelques jours. J’ai pourtant entendu plusieurs commentateurs et journalistes (et non des moindres) affirmer, juste avant, que l’impact de ce genre de débat était faible sur le rapport de force électoral. Ils se sont trompés en beauté tant l’inversion fut nette, radicale et brusque après le premier débat. Néanmoins, aucun n’a fait son mea culpa. Enfin, passons ! L’art oratoire, loin d’être une simple péripétie du calendrier, demeure un enjeu décisif du destin et de l’Histoire.
Qu’est-ce qui a caractérisé ce 2ème débat ?
La Dialectique de l’Espace
Les candidats, assis sur des chaises hautes, se levaient et se rapprochaient du public pour écouter et répondre aux questions des citoyens présents, installés en demi-cercle. La modératrice, Candy Crowley, était placée au centre sur l’avant du plateau. D’entrée, on constate deux zones et une circulation de l’une vers l’autre. Comme au théâtre, nous les appellerons « le fond de scène » et « l’avant–scène ». Ils vont être le terrain d’un jeu subtil et d’un véritable rapport de force entre les deux protagonistes.
D’emblée, après avoir serré la main du gouverneur Romney, O se précipite vers le fond sur son siège, tandis que R demeure debout, jouissant manifestement des applaudissements qui se poursuivent en l’honneur des deux héros de la soirée. Réalisant sa maladresse, O se relève, quelque peu confus, pour « faire comme » R. L’un jouit de la pleine lumière et de cette grisante présence sur l’avant-scène et l’autre se laisse aspirer par le fond de scène. No comment !
La suite du débat verra une plus grande occupation du frontal par R. Et qui dit frontal dit Front. On verra même O, sur une charge acerbe de R, tourner le dos à celui-ci et repartir prendre son verre d’eau sur le fond. Mépris ou reculade ? O interpellera également à plusieurs reprises son contradicteur en étant assis sur son siège du fond, ne prenant pas la peine de se relever et de revenir. Mais tout terrain déserté est investi par l’ennemi. O, oppressé par cette présence massive et envahissante de R sur l’avant-scène, finit par lui lancer, dans un sursaut de révolte et d’agacement, cette injonction : « Asseyez-vous Monsieur le Gouverneur. » Mais il n’était pas facile de déloger le gouverneur R, d’autant plus que sa base au sol et son implantation étaient parfaites. Stabilité et solidité. Tandis qu’en face O paraissait un peu sautillant (des micros–mouvements). Est-ce dû au basket-ball qu’il pratique ? On peut aussi noter la bonne mise en place de l’axe corps-menton chez R, alors qu’O a tendance, depuis toujours, à relever le menton. Inhabituel chez une personne de grande taille. Posture pouvant être interprétée (parfois à tort) comme un signe de mépris, de prétention et de fierté excessive.
Faussement soumis, R est parfois retourné à son siège, mais même assis et silencieux il a veillé à rester droit, contrairement à O qui, assis, n’a pas toujours respecté la verticalité, le tronc en arc de cercle. Ra continué ainsi à affirmer fortement sa présence même dans ses silences. O a découvert en face de lui un Totem. C’est-à-dire un adversaire oratoire inexpugnable.
Dès lors, difficile de terrasser R, malgré son ressaisissement dans la deuxième partie de l’échange où on l’a vu revenir au contact, au frontal, ne se contentant plus d’asséner ses arguments coups de poing, mais les appuyant de tout son corps, dans les règles de l’art oratoire. Enfin un O qui ne lâche plus du regard, réactif, égal à lui-même. Mais en face, l’autre ne concédait rien et on n’a pas décelé d’erreurs préjudiciables chez lui, ni aucun manquement grave aux règles. Et l’équilibre n’existe pas dans la prise de la parole en public. Une partie prend toujours le dessus.
La Gestion du Regard
Fifty-fifty. L’orateur accroche le public du regard et son contradicteur fait partie intégrante de ce public. O avait tendance, en amorçant ses premières interventions, à baisser le regard au sol, comme s’il prenait le temps d’allumer puis de chauffer le moteur. Erreur. Ce temps–là n’est pas accordé à l’orateur. Il n’a pas le loisir de retourner à son bureau, d’ouvrir des dictionnaires et de raturer des brouillons. Hic et nunc, dans la fulgurance de l’instant. Mais une fois relevé, le regard d’O ne lâche plus et tisse le magnétisme de cette présence unique qui est la sienne. Il sait qu’une réponse ne s’adresse pas qu’à celui qui a posé la question, mais à l’ensemble des personnes présentes. R ne l’a pas fait. Il a privilégié sa réponse en la rendant exclusive. Il devrait se corriger sur ce point. Cette fois-ci donc, contrairement au premier débat, le regard d’O ne disparaissait plus dans les limbes. C’est principalement en s’appuyant sur cette bonne gestion du regard qu’il a pu revenir dans la course et porter des coups marquants à R. Il s’est souvenu que la meilleure défense c’est l’attaque. N’avait-il pas justifié la perte du débat précédent par un excès de politesse de sa part ? Selon lui, il « faisait la sieste » durant l’échange. Mais il aurait pu plonger plus profond ses serres ce jour–là avec son regard. Il lui restait de la marge pour être plus insistant. Il a manqué le corps à corps.
Le Gain de l’Affect
Les orateurs américains savent bien jouer de la corde de l’affect. Et ce soir–là R a surpassé O sur ce terrain. R s’est donc montré prompt à partager le malheur des pauvres gens. Il a étalé toute sa compassion, au risque d’en rajouter, pour les victimes de l’attaque contre l’ambassade américaine de Benghazi. Il s’empresse de citer des exemples de personnes qu’il a croisées et qui se plaignaient de leur sort. Ce sont en général des femmes. L’autoportrait qu’il fait de lui vers la fin du débat cherche ostensiblement à émouvoir le téléspectateur américain : Missionnaire pour son église et pasteur pendant 10 ans, il n’a eu de cesse de voler au secours des indigents et d’épauler les chômeurs à la recherche d’un travail. A tout cela O a répondu par le « raisonnement » et la « démonstration ». A l’affect il a opposé l’intellect. Une dérive bureaucratique du dirigeant au contact, au quotidien, des dossiers techniques et complexes de l’Etat. Mais on convainc plus efficacement par l’affect que par l’intellect, et cela le président-candidat le sait. Devant le malheur humainement incarné des pauvres gens, je représente, à travers ma candidature, le seul recours salutaire. C’est ce que disait R. O aurait pu citer à son tour des personnes ayant bénéficié des bienfaits de sa politique, en matière de réforme sanitaire, par exemple. Mais nada ! L’Elan du rêve Pour quelle raison je vous demande de voter pour moi ? A cette question de base la réponse de R est plus claire. On reconnaîtra que c’est plus facile quand on est dans l’opposition. L’O de 2008 incarnait pleinement le changement et un avenir meilleur. « Yes we can ! ». Celui de 2012 demande à ce qu’on lui accorde encore quatre ans pour finir le « job ». C’est un peu vague et un tantinet léger. Mais pour l’instant le pays, en raison de la crise économique qu’il traverse, ne voit toujours pas la vie en rose. Quelle nouvelle espérance lever ? Comment la formuler ? Là-dessus le discours d’O a été déficitaire, tout comme celui de Nicolas Sarkozy en 2012. Que n’eut-il valorisé la significative baisse du chômage annoncé juste avant le débat ? Que n’eut-il mis en perspective le sauvetage de l’économie qu’il a organisé à son arrivée à la Maison Blanche ? C’était le moment de mettre en lumière les importantes réformes qu’il a conduites et les raisons d’espérer pour ces quatre années à venir, avec lui à la tête de l’Etat. Il ne suffit pas d’évoquer ces thèmes en les effleurant. Il faut surtout les marteler et les enfoncer solidement dans les têtes pour dessiner un lendemain meilleur et tracer dans le ciel l’Elan du Rêve. Au lieu de cela, O a plutôt employé son énergie à se défendre, à se justifier et à contre–attaquer. C’est pourquoi il est apparu au cours de cette campagne plus tendu et moins souriant que d’habitude. Et la belle et large ouverture de ses bras a souvent cédé la place à ce doigt trop souvent pointé. Que dire aussi de cet entêtement dont il a fait preuve à des moments à l’égard de l’animatrice qui essayait de l’arrêter lorsqu’il était hors-sujet ? Cela ne fait pas joli pour un Président de se faire remballer aux yeux du monde entier pour ne pas avoir accepté d’obtempérer. L’autoritarisme et le passage en force ne paient pas toujours. Quant à R, il a tout fait pour rassurer les Américains, jusqu’aux revirements de position successifs sur plusieurs sujets, à défaut de réussir à les éviter. Et ce sourire dont il ne se départit jamais, même lors des duels, fait tomber les peurs et achève de le rendre bien sympathique. La spirale mimétique est à l’œuvre. C’est l’émotion affichée par l’orateur qui se reflète dans le public. Il ne perd ce sourire qu’à de très rares moments, notamment lorsqu’O parle de ses impôts. L’évocation de sa situation personnelle l’agace sérieusement. Il y a là un point faible. Autrement, le reste du temps, R veille à bien « donner à voir » ce sourire et à lui joindre un volontarisme à toute épreuve. L’élan du rêve est incontestablement dans son camp. Et malheur à O si l’écho de cette question venait à perdurer chez les très nombreux indécis : « Et pourquoi pas essayer R ? » Les sondages d’après débat ont donné une légère avance à O lorsqu’ils n’évoquaient pas un match nul. Quelques jours plus tard, il y aura une égalité parfaite en termes d’intentions de vote. O n’a pas réussi à déboulonner R. Il n’a pas retrouvé son niveau d’avant les débats. R a cédé du terrain, certes, mais il n’est pas devancé. Le meilleur orateur du monde n’a pas réussi à terrasser son adversaire. Ce n’est pas un bon résultat.
Obama reprend le dessus lors du 3ème débat
Cette fois-ci, O va nettement reprendre le dessus. La politique étrangère, sujet de ce dernier duel, est un de ses terrains de prédilection. La mort d’Oussama Ben Laden, à elle seule, à mettre à son actif, représente aux yeux des Américains un bilan remarquable et il ne manquera pas de la mettre en exergue.
D’entrée de jeu, R tient à rappeler, sous les traits de l’humour, une plaisanterie échangée en coulisse avec O, comme une tentative de placer l’échange sous le signe de la pacification et de la franche camaraderie. Ceci reste inconscient bien sûr, mais le subconscient dit tant de choses en art oratoire ! Cependant, malgré la courtoisie affichée, O n’a pas le choix. Il doit cogner fort et déployer tout son talent.
On ne retrouve plus le R plein d’assurance des deux débats précédents. Le front et les yeux sont plissés et les gestes se sont raréfiés. Il ne s’adresse plus à son contradicteur et se raccroche du regard, comme on s’accroche à une perche, au journaliste Bob Schieffer. Du coup, ses épaules sont rentrées. Sa parole est parfois hésitante, laborieuse, à l’instar de quelqu’un qui marche sur un terrain mouvant, et au final, l’expression naturelle et spontanée semble avoir cédé la place à la leçon récitée.
Rien de tel pour ragaillardir un O retrouvé qui en profite pour afficher sa fermeté de Commandant en Chef des armées. Et cette fermeté n’est pas une crispation car l’orateur assoit sa prestation sur une aisance contrôlée et parfaite.
Il peut alors se permettre d’explorer un spectre émotionnel plus large. Il est successivement souriant, moqueur, drôle, puis à nouveau austère pour réaffirmer la fermeté qui sied devant la planète déchirée par les conflits et les menaces. Il s’autorise l’humour et fait mouche. C’est le signe que l’orateur se sent bien et jouit de l’ascendant mental.
A R qui condamne la baisse du budget militaire en prenant comme exemple la marine dont le nombre de bateaux est passé de 313 à 285, O lui rétorque qu’on n’est plus à l’époque des baillonettes et des chevaux et qu’une armée moderne ne se gère pas comme un jeu de bataille navale. Accusant le coup, le camp R dira plus tard que la réplique était préparée et apprise. Peu importe ! Il est des flèches affutées qui parfois n’atteignent pas leurs cibles.
Acculé, R ne retrouvera son sourire ironique qu’en reparlant d’économie. Il tentera en vain de ramener et de fixer le débat sur ce terrain où il se sent plus à son avantage. Mais rien n’y fait, ce n’est pas le sujet du jour, ni son jour.
Nous reprocherons cependant aux deux rivaux d’avoir laissé, tout le long du débat, leurs coudes collés aux tables. Il a manqué de l’ampleur et de l’orchestration à la gestuelle et la totémisation du corps en a un peu pâti. Sentant la partie gagnée, O en a fait l’économie. C’est un tort. Enfin, pour compléter sa riche palette émotionnelle, O reprend l’avantage (et même l’exclusivité) de l’affect. Il évoque l’exemple de cette fille qui lui a exprimé sa reconnaissance d’avoir vengé son père en tuant Oussama Ben Laden. Le dernier mot que son père lui avait dit au téléphone avant de périr dans l’attentat du World Trade Center était « je t’aime ». Il cite l’exemple d’un soldat revenu heureux d’Afghanistan grâce à sa décision de rapatrier les troupes. Attaqué pour ne pas s’être intéressé à Israël, il relate avec des trémolos dans la voix sa visite au musée de la Shoah à Jérusalem. L’émotion a changé de camp. Et lorsqu’il s’adresse directement à la caméra pour conclure, sa tête est légèrement inclinée sur sa droite. L’attitude de l’imploration et de la prière. Il s’agit de solliciter le suffrage des citoyens qui, à l’approche du jour J, détiennent plus que jamais la clé du scrutin.
Il se fait petit. Ce n’est pas une posture courante chez O. D’habitude il est droit et fier, ce que connote bien ce menton relevé. Ce soir-là, l’orateur s’est fait violence. Il fallait bien cela pour qu’il soit déclaré vainqueur de cet ultime débat.
ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES 2012 AUX ÉTATS-UNIS
Débats Télévisés
16 octobre 2012 – Durée 1h 30 – 65,6 millions de téléspectateurs
22 octobre 2012 – Durée 1h 45 – 59,2 millions de téléspectateurs