Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy

Exercice de style et de stratégie, le débat de mercredi soir entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy a tenu toutes ses promesses. Alors que chaque camp revendique aujourdhui avoir « gagné » le débat, Sham’s, metteur en scène de théâtre et spécialiste de l’art oratoire, revient sur ce qui fut selon lui« un régal de deux heures quarantecinq minutes ».

Sham’s, comment les deux candidats ont-ils abordé ce débat ?

Lenjeu était plus le comportement que le contenu. La stratégie de Sarkozy était de cultiver une image de chef d’État calme, posé, et de ne pas tomber dans la brutalité que certains lui reprochaient. Il navait pas intérêt à débarquer avec ses grosses bottes de grand orateur méprisant, surtout devant une femme.  A lopposé, Royal avait à cœur de montrer quelle nest pas si ronronnante et monotone qu’on le dit, et quelle avait une vraie personnalité et une capacité de résistance. Elle se retenait beaucoup pendant les débats précédents, alors quelle en impose fortement en Poitou-Charentes où elle préside la Région.Nous avons assisté à une inversion comportementale. Royal sest lâchée et cest Sarkozy qui sest retenu.

Comment ces stratégies se sont-elles caractérisées ?

s le début, Royal a montré énormément de présence. Elle se tenait très droite pendant que Sarkozy était recroquevillé, les bras sur la table, saccrochant à son stylo comme à une bouée. Ses conseillers lui avaient certainement dit de se faire petit, de ne pas chercher à dominer et à écraser l’autre ostensiblement.

Elle le fixait dans les yeux, sadressait à lui directement et variait le ton. Elle a eu un boulevard. A force de subir, Sarkozy était vraiment en dessous, il sadressait énormément aux journalistes et pas à son adversaire, car il refusait laffrontement frontal. Il baissait la tête et attendait patiemment lerreur chez son adversaire.PuisSarkozy a ensuite réussi à reprendre la main…

Mais avant, cela a duré près d’une heure comme ça. Sarkozy sest contenté de dérouler son projet en refusant den imposer.Et puis, sur les retraites il a marqué un point. Il sest redressé, ses mains ont rythmé sa parole, etgolène Royal a commencé à lâcher. Elle sest tournée à son tour vers les journalistes, elle a superposé ses mains, ce qui lui a enlevé de sa liberté gestuelle.

Entre pugnacité et excès de zèle, comment qualifiez-vous loffensive de Ségolène Royal ?

Dans lart oratoire, il ny a pas déquilibre. Si on cogne et que le mur ne se lézarde pas, on finit par sénerver. Et cest ce qui est arrivé à Ségolène Royal qui a atteint son summum sur le sujet du handicap. Il ny avait pourtant pas de quoi sénerver autant.Mais comme Sarkozy pliait mais ne rompait pasEn pointant son doigt vers lui, elle a alors perdu sa verticalité pour basculer dans l’horizontali. Cest très fâcheux, car cela signifie que cest vous qui perdez les pédales.

D’autant que Nicolas Sarkozy a pu exploiter cet énervement…

Oui, cétait du pain béni pour lui. Il a pris immédiatement lascendant mental en lui rappelant quun Président de la République devait savoir garder son calme. Il a adopté une toute petite voix à ce moment-là, exprès. Elle lui a alors redonné indirectement son statut de victime quil exploite à fond aujourdhui. Jusquà dimanche, lUMP ne va pas arrêter de mettre en avant cette image de femme nerveuse.

Aurait-elle perdu des points avec ce passage sur le handicap ?

Oui, mais sa colère nira pas jusquà faire peur. Même si elle en a trop fait, elle sest montrée humaine, avec de la poigne et du mordant, alors quelle avait jusquici une image un peu trop lisse. Elle a quelque peu compensé sa mollesse présumée.

Quel regard portezvous sur la fin du débat ?

Près de 2 heures 45 de débat, cest très long. Royal était épuisée. Sur les 30 dernières minutes, à cause de la fatigue, elle a laissé faire Sarkozy lorsquil la coupait, contrairement au début. Enfin, en lui cédant ses trois minutes de temps de parole pour conclure, Sarkozy, en grand seigneur, a voulu marquer sa force et son assurance. Il sest payé ce luxe. Idem lorsquil sest exprimé au sujet de Ségolène. Il a montré une ouverture, de la hauteur, tout en jouant de la condescendance et de lironie.Royal, elle, a refusé de sexprimer au sujet de son contradicteur. Ce nétait pas habile. Elle aurait dû démontrer sa capacité à prendre de la distance face au jeu politique et à la rigidité idéologique.

Nicolas Sarkozy a-t-il finalement mieux maîtrisé le débat ?

Bien sûr. C’est incontestable. En tout cas il a choisi les sujets tout au long du débat. Royal sest laissé embarquer. Ils ont passé vingtcinq minutes sur les 35 heures pour en arriver à dire quils étaient daccord pour ne rien change! Dès que le thème le gêne, Sarkozy a lart den choisir un autre, de changer de front.

Quelle a été la clé du débat ?

Lenjeu émotionnel. Lui, il bouillonnait à lintérieur à force de se retenir. Son visage était rouge à des moments, gonflé de sang. Il devait prendre une petite voix de moineau alors que Ségolène Royal libérait totalement la sienne. Cela na pas dû être agréable à vivre pour Nicolas Sarkozy. Elle pouvait croire quelle parviendrait à le faire exploser, mais il a tenu. Il na montré aucun signe de fatigue. Elle, elle était plus sous linfluence de limpulsivité émotionnelle.

UMP et PS se déclarent tous deux vainqueurs de ce duel. Qu’en pensezvous ?

Chacun a gagné quelque chose.golène Royal montre quelle peut être le chef. Cela arrive tard dans la campagne.Elle a conquis sa légitimité doratrice et de candidate à la présidence. Elle a effacé les critiques sur son incompétence et sur le manque de contenu.

De son côté, Nicolas Sarkozy a prouvé quil sait garder son calme et endosser la stature de Président. Sil ne sest pas montré grand orateur comme à laccoutumée, il a été fin stratège avec un but unique : ne pas perdre.Ayant de lavance dans les sondages, il na pas pris de risque. Il aurait pu marquer des points en se lâchant un peu plus, sans agressivité.

 

Propos recueillis par Sylvain Amiotte

ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES 2007 EN FRANCE

Débats Télévisés
2 mai 2007 – Durée 2 h 45 mn – 20 millions de téléspectateurs
Lu dans Le Journal de l’Ile du 04/05/2007

LE METTEUR EN SCÈNE SHAM’S DÉCRYPTE LE DÉBAT 

« Royal s’est lâchée, Sarkozy s’est retenu »

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