C’est quoi ?
L’INTERVIEW
Le Journaliste : Pourquoi convoquer l’art du conte dans la formation de l’orateur ?
Sham’s : L’orateur est, par plusieurs aspects, un conteur. Et le conteur profère aussi une parole face à des personnes qui l’observent et l’écoutent.
Le Journaliste : C’est un peu réducteur et facile de les confondre. Il y a tout de même beaucoup de différences entre les deux.
Sham’s : Vous avez raison. La parole du conteur est frappée d’emblée par la dénégation fictionnelle. On y adhère, mais on sait que c’est faux. Tandis que l’orateur, lui, est censé tenir des propos véridiques. Il n’est pas, à proprement dit, dans « le spectacle ».
Le Journaliste : C’est tout ce qui diffère entre les deux ?
Sham’s : Bien sûr que non.
L’art du conte mobilise plusieurs pratiques artistiques. Le conteur peut chanter, danser, mimer, imiter, …tout en proférant une parole sur le modèle de l’orateur. Le conteur s’adresse directement au public, tandis que l’acteur vit enfermé dans ses personnages.
Le conte est un art total, global, le plus complet de tous les arts. Il requiert de nombreuses compétences. C’est certainement la forme la plus complexe et la plus difficile que peut emprunter la parole en public.
Le Journaliste : Et quel intérêt pour l’orateur de s’initier à cette pratique ?
Sham’s : Parce que « qui peut le plus peut le moins ».
Un bon orateur est aussi quelque part un bon conteur.
Dans son fameux discours du 28 août 1963 à Washington, Martin Luther King « contait son rêve » au public réunit à Chicago. Il faisait entrevoir alors les images d’un monde souhaitable mais non encore réalisé.
Les différents procédés qui structurent l’art du conteur viennent parfois enrichir l’arc expressif de l’orateur. Par exemple, dans une posture de moquerie où l’on contrefait une personne pour la tourner en dérision.
Les tribuns sont aussi, dans une certaine mesure, des faiseurs de spectacle.
Les religieux le savent bien, eux qui basculent allègrement de la parole parlée à la parole chantée, en passant par la narration. Certains se révèlent être d’excellents conteurs.
Le Journaliste : Mais c’est là un vaste programme. Comment se familiariser en si peu de temps avec tous ces arts ? Le jeu de l’acteur, le chant, la danse, la marionnette…
Sham’s : Pas d’affolement !
Ce que nous proposons est une initiation, une sensibilisation. Afin que l’orateur prenne conscience du très vaste champ des moyens mis à sa disposition dans la « mise en scène » de sa parole. S’ouvrir à tous les possibles. Il doit ambitionner de se doter d’outils expressifs diversifiés, inattendus et non convenus.
Le Journaliste : Mais ce n’est pas facile, tout ça ?
Sham’s : Bien évidemment. Il lui faut, à l’orateur, surmonter ses blocages et faire tomber les barrières qui enserrent sa personnalité.
Le conteur, lui, est amené à vivre une liberté totale, où la timidité et autres considérations parasitaires ne sont plus de mise. C’est une partie de cette expérience de la liberté que nous voulons faire goûter à nos stagiaires en Prise de la Parole en Public.
D’où la nécessité de s’immerger pour un temps, même très court, dans l’univers du conteur. L’orateur doit se nourrir de tout.
Le journaliste : L’objectif n’est donc pas de former des conteurs.
Sham’s : Non cher ami. Même si cette formation peut aussi s’avérer utile aux conteurs et leur rappeler certains procédés importants de leur art.
Le journaliste : Ouf ! Vous me voyez rassuré.
Sham’s : Dans l’univers du conteur toutes les digues tombent.
En emboîtant le pas au conteur, l’orateur vit l’expérience d’une liberté sans limite et devient meilleur et plus fort.