C’est quoi ?
L’INTERVIEW
Le Journaliste : Vous enseignez principalement la prise de la parole en public, pourquoi proposer aussi le théâtre ?
Sham’s : Parce que le théâtre est aussi un art où la parole s’exerce devant un public. Les deux pratiques ont plusieurs points communs, de l’enjeu de l’exposition de soi devant un public au jugement exprimé par ce dernier.
En conséquence, connaître les éléments qui composent le jeu de l’acteur ne peut qu’enrichir, par ricochet, l’exercice de l’art oratoire. C’est donc un bon complément.
Avez-vous noté comme les commentateurs font souvent référence aux cours de théâtre suivis par Emmanuel Macron jeune auprès de celle qui est devenue par la suite son épouse ? Le Général de Gaulle avait, lui aussi, pris des cours auprès d’un professeur du Conservatoire National Supérieur de Théâtre de Paris. L’art dramatique contribue incontestablement à l’épanouissement de l’individu et à libérer son expression.
Le Journaliste : Il suffit donc de faire du théâtre pour pouvoir bien parler en public ?
Sham’s : Oh que non ! Ce n’est pas du tout la même chose.
Malheureusement, beaucoup de formateurs font l’amalgame et proposent d’enseigner la prise de la parole en public à travers les techniques du théâtre. C’est une grave erreur !
L’art oratoire et le théâtre diffèrent en nature. Dans la Prise de la Parole en Public, l’individu reste lui-même. Et malheur à lui si on venait à voir qu’il joue ! En revanche, au théâtre, ce même individu doit disparaître au profit du personnage.
Dans Pirates des Caraïbes, Johnny Depp doit céder la place à Jack Sparrow, et maudit soit-il si on « percevait » l’interprète Johnny Depp ! Le théâtre, tout comme le cinéma, doit paraître vrai. Mais au final on sait tous que c’est « pour de faux ». Il y a dénégation. C’est sans danger. C’est vraiment un jeu. Tandis que l’art oratoire est plus qu’un jeu. Il est à la fois outil de transformation du monde et levier du destin. Des deux disciplines, le théâtre est celle qui porte à moins de conséquences.
Le Journaliste : Certes. Mais vous encouragez néanmoins l’orateur à faire aussi du théâtre. Il y a contradiction.
Sham’s : Pas vraiment, il n’y a pas contradiction mais complémentarité. L’objectif premier de la formation au théâtre que je donne n’est pas de produire des Acteurs en tant que tel, mais d’œuvrer à l’épanouissement de l’individu à travers le jeu.
Il s’agit, dans le cadre d’une première initiation, de découvrir ces nombreux moyens d’expression qui sont en nous et que nous ne soupçonnons guère, de raffermir la confiance en soi, de s’accorder avec les autres, d’apprendre à écouter et à observer vraiment ses partenaires, de sentir et de s’accommoder du regard extérieur et de la présence chaude et vibrante du public, de travailler sa concentration, sa mémoire, son imaginaire et ses émotions.
Des qualités nécessaires dans l’art oratoire, vous en conviendrez.
Le Journaliste : Pourtant il n’est pas donné à tous de faire l’acteur.
Sham’s : Le grand metteur en scène anglais, Peter Brook, a noté à juste titre que dans toutes les langues du monde on retrouve toujours un seul
et même mot pour désigner le « jeu » de l’enfant et le « jeu » de l’acteur.
L’approche, au théâtre, consiste à faire tomber les barrières encombrantes qui nous habitent au quotidien, à évacuer tensions et crispations et, enfin, à libérer notre expression vivante en la mettant au service d’une fiction et d’une intrigue.
Dès lors, la formation théâtrale ne sera pas vécue comme un calvaire mais plutôt comme une exaltation, une authentique source de joie, dans le sens bergsonien du terme. Et l’apprenti comédien de se surprendre à aimer la scène, le lieu de tous les possibles, de toutes les vies et de toutes les sensations.
Personnellement, j’estime que l’apprentissage du théâtre devrait être généralisé à toute la société, tant le besoin de jouer, d’imiter, de contrefaire et de transmuer est consubstantiel à l’homme.
Le Journaliste : Vous venez de citer les propos d’un grand metteur en scène. Avez-vous des maîtres et qui sont-ils ?
Sham’s : Non pas des maîtres mais des personnalités qui m’ont fortement inspiré. Il y a sans hésitation Ariane Mnouchkine, une très grande Dame du théâtre français, et le Russe Constantin Stanislavski. La première, parce qu’elle m’a appris la quintessence, la sidérante beauté et la magie incommensurable du théâtre qui se résument à quelques principes simples. Le second, parce qu’il a posé le fondement de la Vérité théâtrale, en opposition aux diverses formes de mensonges qui hantent les planches.
Le pire au théâtre c’est de faire du théâtre !
C’est la méthode de Stanislavski qui a inspiré L’Actor’s Studio de Lee Strasberg à New York. Puis, en chercheur infatigable, Stanislavski a successivement remis en doute ce qu’il découvrait, de la mémoire affective à la méthode d’analyse active, en passant par le procédé des actions physiques. Rassurant non ? Selon Nietzsche, il n’y a que la certitude qui rend fou.
Le Journaliste : Vous avez beaucoup insisté sur le fait de s’amuser en jouant. Faut-il ne voir dans votre formation qu’une pratique de loisir et de détente ?
Sham’s : Le loisir va de pair avec la liberté. En fait, jusqu’à présent, je vous ai parlé d’un premier niveau, accessible à tous et pour lequel, entre autres, les administrations et les entreprises font appel à moi pour libérer l’expressivité de leur personnel et renforcer la cohésion de leurs équipes. Souvent c’est sous la forme de team-building. C’est ce niveau initiation que nous proposons aux candidats orateurs.
Il y a un deuxième niveau beaucoup plus exigeant, mais il ne fait pas partie de la formation de l’orateur que nous proposons ici.
Le Journaliste : Il existe plusieurs écoles de jeu théâtral, avez-vous, comme pour la prise de la parole en public, une approche qui vous est propre ?
Sham’s : En effet, il existe différentes manières de faire du théâtre. Après avoir fait le tour des différentes méthodes, j’ai fini par élaborer une synthèse de ce qui me paraît essentiel et le plus efficace. J’ai écarté tout le bla-bla-bla lyrique pompeux et pseudo-théorique pour aller directement vers ce qui fait théâtre, en relation directe avec un public réhabilité dans son rôle participatif de l’événement théâtral.
Non, le spectateur ne regarde pas par le petit trou de la serrure ! Il est assis sur le même tapis que celui qui raconte, dans une participation vivante, singulière et totale. Et l’acteur peut l’interpeller
directement, tout comme l’orateur avec son auditoire. Pour commencer, je propose en effet aux participants de se familiariser avec mon langage et ma démarche théâtrale spécifiques.
Le Journaliste : Qu’est-ce que vous leur demandez ?
Sham’s : C’est quelque peu technique pour qu’on puisse le développer ici.
Mais il y a, entre autres, les notions d’urgence, d’état, de nœud conflictuel, de centre psychologique, de concordance de masque, de réaction à vide, de geste psychologique, d’oscillation de la conscience, de vide, d’attention multiple, de croyance partagée.
Le Journaliste : Il faut tout ça pour faire une pièce ?
Sham’s : Il faut tout ça, et même plus que ça pour faire la moindre seconde de vrai théâtre. C’est pourquoi il arrive à cet art d’être incomparablement sublime et fascinant. Il faut déployer beaucoup de science pour attirer les gens le soir hors de chez eux et venir vous applaudir. Il ne suffit pas d’observer sous la lumière des projecteurs un homo sapiens qui gesticule et grimace, tout en jetant quelques cris à la cantonade.
Ce sont quelques secrets de cet art fabuleux que nous voulons révéler à ceux qui veulent devenir des orateurs. Quelques secrets seulement.